lundi 17 août 2009

CINEMA : "JOUEUSE"



J’avais décidé de ne plus écrire dans ce blog avant le 08 Septembre.
Mais voilà : je suis allé voir le film « Joueuse « avec Sandrine Bonnaire et Kevin Klein.


Et il y a des moments dans la vie qui vous font changer de chemin.
En fait il s’agit d’une très belle histoire où deux mots dominent : amour et passion.

Le jeu d’échec y est comme toile de fond où s’entremêlent les personnalités et la sensualité des personnages.

J’étais assez sceptique avant d’aller voir le film : je n’arrivai pas à penser comment il était possible de faire ressentir la passion des échecs à travers un tel scénario.
Je m’attendais à un film mièvre « à la Française » où l’on retrouve l’éternel trio de mauvais goût : mari cocu, femme et amant.

Mais je m’étais dit : j’y vais et si cela ne me plait pas je partirai avant la fin.

C’est d’ailleurs comme cela que je traite pratiquement tous les films : je n’en connais pas la fin pour la plupart.

Or, non seulement je suis resté mais en plus j’irai revoir ce film une deuxième fois.

Amis passionnés d’échecs ne vous attendez pas à trouver dans ce film une explication détaillée de la Sicilienne Dragon avec toutes ses variantes.

Non, c’est un film d’ambiance, d’une ambiance toute sensuelle qui réconcilie avec le vrai plaisir du cinéma que l’on savoure comme un fruit à travers milles petits gestes, mille attitudes, les entrecoupements des bruits familiers de la pendule d’échecs et des silences, des regards qui rythment une partie, et avec une musique de très grande sensibilité qui nous donne l'impression d'effleurer les pièces de l'échiquier.
A travers le glissement des yeux qui suivent doucement la caméra c’est la tension intime qui existe entre les protagonistes d’une partie d’échecs qui s’exprime.


C’est aussi une belle fresque sociale qui nous apprend ceci : quelle que soit son origine sociale on peut changer sa vie pour réaliser ses rêves et compter face aux autres en décidant de s’adonner à une passion.

Et dans ce film cette passion est le jeu d’échecs.

Mais j’aurai l’ humilité de ne pas tout ramener aux échecs car cette passion pourrait être toute autre.
C’est ce qui fait l’extraordinaire richesse intellectuelle de ce film et c’est pour cela qu’on ne s’y ennuie jamais.
Tous ceux qui partis d’origines modestes auront franchi les caps de leur passions se reconnaîtront dans cette fresque qu’ils soient sportifs et artistes ou scientifiques.
Or précisément les échecs sont à la fois un sport, un art et une science.

L’héroïne, Hélène jouée par Sandrine Bonnaire est femme de ménage et vit un quotidien commun et sans passion aux côtés de son mari et de sa fille.

Jusqu’au jour où elle subit le coup de foudre du jeu en observant une partie d’échecs entre deux amants.

A partir de cet instant sa vie va se transfigurer.

Je ne vais pas raconter les détails du scénario mais Hélène, la femme de ménage va oser demander à un de ses patrons, le Docteur Kröger, ( Kevin Klein ) de lui apprendre à mieux jouer .

Or le Docteur est riche et il est le patron qui maugrée parce qu'il ne veut pas qu' Hélène bouge trop son mobilier: il ne connaît même pas son prénom tant il est noyé dans son passé depuis que sa femme est morte.
Hélène est plutôt pauvre et c'est l'employée et sa fille le vit mal.
Le mari d' Hélène, cassé par le travail, ne voit même plus sa femme.
Mais toute la sensualité du film vient des rapports entre cette simple femme de ménage et ce docteur un peu bourru et misanthrope qui aime enseigner.
D'abord méprisant il finira par éprouver de l'estime envers Hélène, franchissant les barrières sociales comme l'on détruit un bouclier du roque.
Mais cette estime sera aussi le respect qu'il aura pour celle qui aura su apporter du mouvement dans cette pièce.
Dans la pièce immobile les pièces du jeu s'animent et la vie renait chez Kröger.
Comme après chaque partie même perdue l'espoir de la revanche renait.
C'est ainsi qu'il ne fallut pas moins de trente parties nulles conre Karpov pour que Kasparov réussisse à faire basculer le destin en sa faveur.

L’attirance qu' Hélène et le Docteur auront l’un vers l’autre à travers le jeu d’échec sera plus forte que le désir qu’ils auraient pu avoir à se livrer à l’adultère. ( On peut s'imaginer mais dans l'art cinématographique ce qui est suggéré est plus fort que ce qui est montré comme aux échecs la menace et souvent plus importante que l'attaque).
Le mari d’ Hélène, Ange ( Francis Renaud ) est jaloux mais il évolue et découvre que ce n’est pas le Docteur Kröger mais bien la passion des échecs qui est entrée comme troisième personne dans le couple.
Dans ce film, aucune coucherie entre Kröger et Hélène, non par moralité mais par esthétisme: c’est ce qui transcende le désir comme une carte du tendre et son point d’orgue où Hélène et Kröger se récitent une partie d’échecs en se regardant simplement et sans échiquier auprès de laquelle le Kama Sutra semblerait sorti de l’âge des cavernes par rapport à la sensualité de ce rapport si fort.
Le grand mérite de la réalisatrice aura été de ne pas faire dévier l'histoire en une simple histoire de promotion canapée car cela aurait cassé toute la sensualité toute en diagonale qui émane de ce film.
Car il s'agit bien de la femme sujet et non objet qui vit dans ce film : la reine qui prend en main son destin.(Je préfère à ce sujet le titre féminin du film où il est fait référence à "The Queen").
Or la Reine est ici l'employée mais l'égalité des chances que lui donne Kröger à travers le jeu lui redonne à lui aussi de la force.
C'est d'ailleurs une raison pour lesquelles dans mes commentaires de ce blog j'appelle le plus souvent la Dame par son nom "Reine" en infraction aux usages échiquéens en France.
Ce n'est pas une erreur mais une volonté d' affranchissement.
Mais il n'y a pas de connotation féministe dans le film car les nuances sont dans l'évolution des personnalités masculines et ne tombent jamais dans le registre du manichéen.
C'est aussi une grande force de la réalisatrice de ne pas délivrer de message féministe mais plutôt un message d'émancipation quasiment universel.
Il y a des évocations à Cendrillon qui a trouvé son prince charmant en la personne de Kröger.
La partie qu'il se récitent sans matériel est un poème amoureux sans oser le dire.
Hélène est heureuse et Ange qui aime sa femme et qui lui porte de nouveau le regard de l'amant et non de l'époux, comprend cela : il n’a pas de prise sur le jeu : cela lui casse la tête et son bonheur est d’assister à l’ascension de sa femme qui gagne son premier tournoi en repensant comme par télépathie aux paroles du Docteur.

Puis tout s’enchaîne.Hélène rompt les amarres non avec sa famille mais avec la prédestination sociale qui semblait l’enfermer dans son rôle de femme de ménage.
D’où la très belle scène du bateau qui quitte l’Ile dans le décor somptueux de la Corse.

Cette quête du Graal qui n’est qu’ une quête d’épanouissement se nourrit des métaphores si nombreuses aux échecs

Hélène a osé : elle a gagné.

Beaucoup sauront y reconnaître leur propre destinée.

Merci à tous, aux acteurs, à Caroline Bottaro, réalisatrice qui signe un coup de maître pour son premier long métrage

Car les échecs ont un pouvoir sur notre terne quotidien : un pouvoir nommé désir.
Souhaitons que ce film fasse naître de nombreuses vocations.
Source des images : Studio Canal.